Qualité de l'air : comment Ixelles pourrait sauver des vies par ses marchés publics

Publié le 18 mars 2017
Rédigé par 
Audrey Lhoest

Six cent cinquante morts par an à Bruxelles[1] du fait de la mauvaise qualité de l’air et le Collège ixellois n’a toujours pas pris la mesure du drame sanitaire qui se joue. L’exemple par les faits, dans les choix en matière d’achats publics préférant le moindre coût aux impacts sur la qualité de l’air et, dès lors, sur la santé et la vie de nos concitoyens.

Le jeudi 23 février dernier,  le groupe Ecolo s’est fait longuement entendre sur la question cruciale des marchés publics engagés par la commune. Les marchés publics sont en effet de formidables leviers de changement pour les collectivités publiques et d’amélioration de la vie des citoyens qui bénéficient des services publics[2].

Des engagements non suivis des faits

La majorité MR-PS-DéFi s’était d’ailleurs engagée à introduire des clauses sociales, environnementales et d’innovation dans ses marchés publics communaux en consignant une motion déposée par Ecolo.

En effet, par l’introduction de critères dans les cahiers des charges de ses marchés, la commune peut favoriser, ou non, des produits ou des services qui respectent mieux l’environnement, la santé des travailleurs communaux ou des enfants dans les écoles; ou encore qui privilégient les entreprises qui mettent en place des politiques sociales.

Bien acheter en respectant les règles des marchés publics c’est une bonne chose. Bien acheter et en plus avoir un impact sur la diminution du chômage en Région bruxelloise, ou sur la réduction des émissions de CO2, ou encore sur la préservation de la santé et la vie des Ixellois, c’est encore mieux. Et là, une fois encore, le Collège ixellois a démontré tout son retard, voire son inconscience, en la matière.

Ecolo en appelle à la responsabilité de la majorité ixelloise

Cela fait plusieurs années que le groupe Ecolo sensibilise le Collège ixellois sur la très mauvaise qualité de l’air en région bruxelloise. Cet air malsain tue exactement 632 Bruxellois par an (et 12.000 personnes en Belgique) des suites de pneumonies, cancers et accidents cardiovasculaires, sans compter les dizaines de milliers de malades chez les aînés, les enfants et les fœtus qui sont aussi particulièrement touchés (comme le démontre la professeur Catherine Bouland de l’ULB [3]).

Cette pollution de l’air est liée aux particules fines qui sont principalement émises par les processus de combustion : trafic routier, chauffage, industrie, incinération des déchets… A Bruxelles, elle est causée à 60% par le trafic routier avec l’émission de différents gaz mortels dits
« primaires », tel que le NOx (oxydes d’azote émis par les moteurs au diesel), les PM10, 2.5, 1 ou les « black carbon »[4].
Elle est aussi engendrée par les particules secondaires qui se forment de manière indirecte par recombinaison de précurseurs gazeux comme l’ammoniac NH3, l’acide nitrique lié aux émissions de NO2 (dioxyde d’Azote émis par les moteurs au diesel) – toxique pour l’appareil respiratoire – ou encore le SO2, qui se mélangent et se transforment au contact d’autres molécules présentes dans l’atmosphère.

L’Etat belge et la Région en infraction

L’Etat belge, comme la Région bruxelloise, sont d’ailleurs tous les deux mis en procédure d’infraction par la Commission européenne depuis 2014, puis en 2015 pour non-respect des directives sur la qualité de l’air. Ils ont même été mis en demeure d’agir en 2016. Et la Région bruxelloise est d’ailleurs poursuivie en justice[5] par des citoyens bruxellois à l’origine de la pétition « Bruxelles Air Propre » http://www.bxlairpropre.be

On le comprend donc bien, il est d’une extrême urgence d’agir contre ce scandale sanitaire silencieux qui se joue sous nos yeux. Et les Communes peuvent et doivent aussi montrer l’exemple, notamment en ce qui concerne la diésélisation et l’ancienneté de leur charroi communal[6], la qualité des véhicules loués par la Commune -plus ou moins polluants- ou par les mesures qu’elles peuvent prendre pour réduire la pression automobile.

Le rendez-vous manqué avec les grands défis du futur

Lord du conseil communal de janvier 2017 le conseiller Bertrand Wert a questionné le Collège sur l’une des rares actions régionales de lutte contre la pollution avec la mise en place de la Low Emission Zone régionale[7] (qui limitera l’accès, à la Région, des véhicules les plus anciens – les véhicules EURO 1- antérieurs à 1996 -).

Une formidable occasion était alors donnée au Collège ixellois d’anticiper les mesures.. En effet était soumis au vote du Conseil un nouveau marché public de services de « prestation de divers transports (scolaires et non scolaires) par car sur le territoire belge »[8] pour une durée de 2 ans et pour la somme substantielle de 200.000€.

Le cahier des charges précisait même qu’une grande partie des transports se feront sur le territoire même de la Commune ou à toute proximité.

Et Bertrand Wert de réagir : « Le Collège aurait pu inclure au moins un critère quant à l’énergie utilisée par les bus en question, par exemple le gaz naturel, l’hydrogène ou l’électricité, ou des moteurs hybrides. Il aurait même pu demander au minimum que seuls les bus les plus récents soient utilisés, du type bus Euro 6 mis en service à partir de 2014 (voir schéma plus haut). Tout en sachant que depuis le Dieselgate nous ne pouvons plus avoir confiance dans les mesures présentées par les constructeurs. Mais non. Zéro… Le seul critère retenu était bien le prix, juste le prix le plus bas ! Autrement dit, il y a de grandes chances que ce soit la société de location de bus avec la flotte la plus ancienne, la moins chère, la plus polluante et de fait la plus mortelle qui remporte ce même marché. Les ixellois vont donc payer le prix double : avec leur portefeuille et avec leur santé! ».

Un drame sanitaire désormais scientifiquement démontré

Et l’élu ixellois d’ajouter : « A l’image d’autres autorités bruxelloises, le Collège n’a pas conscience du drame sanitaire qui se joue et qui, à de nombreux égards, ressemble à celui de la dioxine. Un poison invisible qui se répand dans la population, qui rend malade les plus fragiles et qui tue indirectement sur le long terme ou directement à très court terme, dans les 24h qui suivent un pic de pollution, comme les cardiologues Argacha et Wauters, de Saint-Luc et de l’ULB, viennent de le démontrer[9]. Ils expliquent que les particules fines et surtout les dioxydes d’azote NO2 (Diesel) déclenchent les infarctus du myocarde les plus dangereux, et qu’elles augmentent de 5% à 10% les infarctus pour chaque augmentation de 10 microgrammes par mètres cube de particules fines… ».

L’inertie ixelloise

Au final, malgré l’invitation de l’élu faite au Collège de revoir sa copie, ce fut une fin de non-recevoir. L’argument avancé a été des plus classiques : « ce n’est pas possible, les sociétés de location de bus ne sont pas prêtes… ». Mais est-ce qu’une étude de marché a été faite pour savoir quelles étaient les sociétés opérant en Belgique qui louent des bus électriques ou des bus au gaz ou encore des bus hybrides? Est-ce qu’au minimum des clauses encourageant les sociétés de location à favoriser l’usage de bus alternatifs au diesel n’auraient pas pu être inclues?

En conclusion, le groupe Ecolo a voté contre ce marché public et réitère toute sa mise en garde du Collège vis-à-vis du drame sanitaire qui se joue. Les Ecolos implorent la majorité d’en prendre conscience et d’en tirer des conséquences concrètes dans la façon dont elle mène ses choix politiques, en premier lieu duquel sa politique d’achats publics de biens ou de services notamment concernant la mobilité. Des solutions sont possibles : la Commune d’Ixelles doit les envisager et montrer l’exemple.

[1] Données reprises par le plan régional air climat énergie PACE http://www.environnement.brussels/sites/default/files/user_files/planacefr_ep_20150420.pdf p.128
[2] Bertrand Wert parlait déjà du sujet dans une première interpellation en décembre 2014 https://ixelles2024.ecolo.me/2015/01/04/pas-facile-daller-a-lecole-a-velo-a-ixelles/
[3] http://plus.lesoir.be/75785/article/2017-01-02/catherine-bouland-sous-estime-le-risque-de-la-pollution-de-lair
[4] Ce polluant fait partie des particules fines et ultra fines inférieures à 2.5 μm. Parmi les PM, ce sont les particules les plus nocives du fait de leur petite taille ainsi que de leur composition chimique (source http://www.environnement.brussels/sites/default/files/user_files/planacefr_ep_20150420.pdf p.131)
[5] http://www.lalibre.be/regions/bruxelles/plainte-a-bruxelles-pour-exiger-des-mesures-concretes-contre-la-pollution-automobile-57e28afccd70502b99a8ad7c
[6] En novembre 2015 le charroi communal ixellois était composé de 150 véhicules (137 avec un moteur à combustion) et la moyenne d’âge des véhicules est de 10 ans et la très grande majorité des véhicules sont équipés de moteur au Diesel (82%).
[7] http://www.lez.brussels/
[8] Il est dit dans le cahier spécial des charges que « le nombre de trajets est estimé à 45 par an, soit, pour ce qui concerne le présent marché d’une durée de deux ans : 90 trajets, tous types de catégories de transports confondues. »
[9] International Journal of Cardiology , novembre 2016 https://cris.cumulus.vub.ac.be/portal/en/publications/air-pollution-and-stelevation-myocardial-infarction-a-casecrossover-study-of-the-belgian-stemi-registry-20092013%28f92f2cdb-17a0-482e-b0b2-9ef075776196%29.html