Dans la lutte contre la pauvreté, les communes sont trop souvent livrées à elles-mêmes
Comme chaque année, l’hiver remet en lumière le sort des plus démunis. Les médias nous rappellent qu’en cette période des fêtes, le froid tue, en silence, des personnes dont on ne parle pas, ou si peu, le reste de l’année.
Et comme chaque année, des mesures sont prises pour parer au plus urgent. Ainsi, un abri de nuit a ouvert ses portes dans l’ancien hôpital d’Ixelles, à l’initiative des ministres régionaux responsables de l’aide aux personnes. Jusqu’au 15 mars 2004, il pourra héberger 40 personnes. Fruit de la collaboration entre des services d’aide aux personnes sans-abri, le CPAS et la commune d’Ixelles, cet abri, certes rudimentaire, offre le temps d’une nuit, un lit dans un environnement calme et chaud. Un endroit où se (re)poser avant un lendemain qui pour la plupart ne chantera pas.
Utile et nécessaire, ce dispositif ne peut pas nous faire oublier des réalités qui devraient nous inquiéter toute l’année. Tout d’abord, la rue tue, quelle que soit la saison parce que les conditions de vie y seront toujours difficiles. Ensuite, loin de l’image du traditionnel clochard isolé, le sans-abrisme touche bien d’autres catégories de la population : jeunes, couples, familles, femmes seules ou avec leurs enfants. Dans un certain sens, ce phénomène complexe ne constitue que la partie visible de l’iceberg de la pauvreté, celle qui nous révèle qu’un nombre croissant de personnes ne jouissent plus de droits fondamentaux (droit au logement, à la santé, au travail, etc.). Force est de constater qu’un trop grand nombre passe à travers les mailles de la sécurité sociale pour basculer dans un système d’assistance qui, s’il est nécessaire et efficace, n’en reste pas moins le signe et la conséquence de la répartition de plus en plus inégale des richesses et d’un affaiblissement des mécanismes de solidarité sociale.
Face à cette réalité complexe, les solutions ne sont pas univoques et ne doivent pas se focaliser sur des services dits d’urgence sociale ciblant spécifiquement les plus démunis (hébergement, repas, etc.). Car une telle politique, développée à outrance, risque d’enfermer les personnes dans un statut de sous-citoyen. Elle tend à les installer dans un système d’aide qui les stigmatise comme exclus et qui, sous la forme de la solidarité collective, s’apparente davantage à de la charité publique. Offrir des réponses ponctuelles à des problèmes immédiats ne doit donc pas nous dédouaner des enjeux énormes, en termes de justice sociale, qui se nichent dans le phénomène de la grande précarité. Ces enjeux nécessitent la mise en place de politiques publiques qui impliquent les différents niveaux de pouvoir, avec comme objectifs essentiels le recouvrement des droits fondamentaux et la prévention des mécanismes d’exclusion. Et il faut bien avouer que, dans cette architecture, les communes disposent d’une marge de manœuvre réduite.
Ainsi, en matière de logement, comment mener une politique communale efficace de lutte contre l’insalubrité lorsque les possibilités de relogement font cruellement défaut ? Or ce n’est pas faute de le répéter aux autorités compétentes : il faut augmenter de toute urgence l’offre de logements accessibles à tous. L’offre quantitative, mais aussi qualitative, car nombreuses sont les personnes qui vivent dans de véritables taudis. Il est d’ailleurs un fait qui devrait nous interpeller à cet égard : certaines d’entre elles « préfèrent » fréquenter les centres d’hébergement plutôt que de rester seules dans des logements tels qu’elles ne peuvent l’investir comme « chez soi ».
Dans la mise en place d’une politique cohérente de lutte contre la pauvreté, le rôle de la commune est fondamental. Tout d’abord, par sa confrontation directe avec les problèmes concrets de ses habitants, il constitue un observatoire idéal de diagnostic . C’est également au niveau local que peut se développer, de manière concertée entre les différents acteurs publics et associatifs, le travail de proximité nécessaire à la remise en lien des personnes les plus exclues. Car le problème du sans-abrisme ne relève pas uniquement de l’absence ou de l’inconfort d’un logement. Plus fondamentalement, il résulte aussi de ruptures de liens sociaux qui définissent la personne en tant que sujet de sa propre vie et citoyen à part entière.
Mais en même temps, la commune constitue le dernier maillon de la chaîne de la solidarité sociale et de la prévention. Dans un pays où la réalité institutionnelle est d’une telle complexité, elles sont nombreuses à lancer une bouée de détresse. Sans un réinvestissement dans des fonctions collectives aussi importantes que l’enseignement ; sans une réelle volonté de maîtriser la flambée des prix de l’immobilier ; sans un engagement plus ferme dans le soutien à la création d’emploi et surtout sans une plus grande concertation entre les différents niveaux de pouvoir impliqués, l’action des communes ne sera jamais qu’un emplâtre sur une fracture sociale grandissante.